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"Closing your Eyes " 2006

dimanche 8 octobre 2006, par La cavale

“Closing your Eyes” moyen-métrage documentaire, 52 minutes, Béta-num, 2006
Coproduction : REAL PRODUCTIONS, / FRANCE TELEVISIONS
Avec l’aide de Brouillon d’un rêve, l’aide à l’écriture de la SCAM Diffusion : Voi Sénart, KTO, France 3 LCA, CFI

En Palestine, la machine à défigurer s’active en permanence, patiente et oublieuse comme une abeille. Qu’est-ce qu’elle fait ? Elle fabrique de la frontière. Elle « frontiérise » à tout va. Ici on ferme les yeux.

Festival du monde Arabe, Montréal, Canada, 2006 / Festival Cinéma du Réel, Compétition française, centre Georges Pompidou, Paris, France, 2006. / Festival Franco-Arabe, Amman, Jordanie, 2006. / Etats généraux du film documentaire, Sélection SCAM , Lussas, France, 2006. / Festival International du Documentaire de Beyrouth – Docudays, 2006. / Cork Film Festival, Irlande, 2006, / Festival du cinéma méditerranéen du Bruxelles, 2006 / Festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier (2006) / Festival Libertés à Bruxelles (2006) PRIX SPECIAL DU JURY / Festival International du Film de Rotterdam (2007) / Festival International du Grand Reportage d’Actualité FIGRA (2007) / Etoile de la SCAM 2007

Closing your eyes est un film documentaire sur trois villes palestiniennes en train de mourir, un film sur trois formes d’enfermement et d’étouffement : la révolte à Naplouse, la résignation à Hébron, la disparition à Qalqilyah.

Closing your eyes recueille des témoignages qui exhalent une tristesse sans fond, qui semblent perdus au milieu d’un isolement imposé. Surtout ne plus rien entendre, mettre en sommeil toutes les sensations. Ne plus éprouver la douleur, la peur, la violence. Ne plus écouter les tirs et les cris incessants.

Closing your eyes ou comment donner à voir et à entendre dans les rues de trois villes, entre l’obscurité et la lumière, entre l’intérieur et l’extérieur, entre la vie et la mort, entre le visible et l’invisible.

Closing your eyes, car face à nous, derrière les murs, se distille une souffrance sourde, un calvaire sans fin d’hommes et de femmes qu’on prive de tout droit, comme s’il n’y avait plus un peuple, des êtres humains, mais un fléau qu’il faut contenir à tout prix.

En Cisjordanie, ce qui frappe d’emblée, c’est la violence exercée contre la ville, la terre, le territoire. A perte de vue, ce ne sont que chantiers à ciel ouvert, collines éventrées, déforestations. Paysages en lambeaux, rendus illisibles par une violence qui semble concertée. Non la violence des bombes et de la guerre, non les destructions infligées par les incursions des chars, mais une violence active, industrieuse, cadastrale. Des murs traversent les collines, des barbelés encerclent les champs.

D’abord Naplouse. C’est l’une des dernières villes à lutter contre l’occupation. Elle est assiégée et coupée du reste de la Cisjordanie par plusieurs barrages qui entravent la circulation. Elle est régulièrement soumise (50 jours en 2003) à un couvre-feu total, qui interdit aux habitants de sortir de leurs appartements. Ainsi quelque 200.000 personnes sont emprisonnées dans leur propre ville. Les barrages de Beit Iba, Azmout et Huwwara qui entourent la ville de tous côtés, sont les plus sévères de Cisjordanie. Même des femmes sur le point d’accoucher et des vieillards malades rencontrent les pires difficultés pour les franchir, et la majorité des habitants n’essayent même plus.

Pourtant, « il ne s’agit pas d’un village se mourant derrière le béton et les levées de terre qui l’emprisonnent, mais d’une métropole chargée d’histoire ancienne, hier encore bouillonnante et grouillante de monde, avec sa vie commerçante et industrielle débordante, son université importante, ses hôpitaux, son paysage urbain plein de charme et ses anciens ornements », souligne le journaliste israélien Gideon Lévy.

Ensuite Hébron. La cité est partiellement occupée par une garnison israélienne qui protège quelque 400 membres de plusieurs colonies, situées au centre ou en bordure de la vieille ville. Ici la ville est en train de se vider de l’intérieur, le centre est peu à peu paralysé. La frontière se déplace à l’intérieur, invisible au premier abord. C’est le seul endroit où des équipes d’observateurs internationaux (scandinaves, turcs et italiens), sans pouvoir d’interposition mais avec un devoir de rapport, jouent un certain rôle modérateur. Les appelés israéliens aussi s’interposent parfois et manifestent ouvertement leur lassitude d’avoir à garantir la sécurité des colons dans ces conditions.

Enfin Qalqilya. La ville, située près de la ligne verte (frontière de 1967), est entourée par un mur haut de 9 mètres et par des barbelés infranchissables, interdits par les conventions humanitaires. Un seul point de passage la relie au reste de la Cisjordanie, contrôlé par l’armée israélienne qui peut le fermer à n’importe quel moment. Des miradors, des caméras vidéo, des capteurs sonores et une route entourant la ville complètent le dispositif de surveillance. Qalqilya est en train de devenir une prison. D’après la municipalité, la construction du mur de sécurité a signifié la confiscation d’un tiers des terres cultivables et des réserves d’eau de ce district connu comme « le grenier de la Cisjordanie ». Le taux de chômage d’environ 65% a poussé 6.000 résidents à abandonner la ville au cours des derniers mois pour chercher du travail ailleurs. Beaucoup d’habitants sont incapables de payer leurs impôts, et les dettes de la municipalité envers la compagnie israélienne de distribution d’électricité ont suscité des menaces de coupure.

C’est comme si nous ne savions plus voir, c’est comme si nous ne voulions plus regarder. C’est comme si la parole n’était plus possible.

Naplouse

Parti en Cisjordanie pour réaliser un documentaire radiophonique pour l’Atelier de création radiophonique de France Culture, j’y ai rencontré une personne qui m’a guidé dans l’appréciation de la situation, la prise de contacts et les repérages : Anne Brunswic, l’auteur de Bienvenue en Palestine, Chroniques d’une saison à Ramallah (éditions Actes Sud, Grand Prix RFI 2005), où elle rend compte de ses discussions avec les Palestiniens et de la vie quotidienne sous l’occupation israélienne. C’est alors que m’est venu l’évidence de ce film documentaire, destiné à approfondir la réflexion sur les notions d’enfermement et de frontière qui s’imposait de plus en plus à ma conscience avec comme un de mes guides, Anne.

« On prend le chemin du meurtre et du contre-meurtre », prévient Anne. Elle, française juive, condamne la politique israélienne qui « met dans des réserves le peuple palestinien ». Et d’ajouter : « Je suis inquiète de voir que la majorité des juifs dans le monde cautionne cette politique raciste. On ne prend pas le chemin de la justice, ce qui se passe ici est une barbarie totale. »

L’occupation, c’est aussi simple que cela : le droit de décider de ce qui est éclairé et de ce qui est plongé dans l’obscurité. De ce qui est visible et de ce qui ne l’est pas. De ce qui est accessible et de ce qui est interdit d’accès. La frontière régit jusqu’au partage de l’ombre et de la lumière. C’est une frontière surnaturelle. L’écrivain polonais Tadeusz Konwicki disait : « Ma patrie est sur des roulettes ; ses frontières se déplacent au gré des traités ». En Palestine, c’est pire : la frontière se meut comme un nuage de sauterelles. Elle se déplace d’un bond au gré des attentats-suicides, avec la soudaineté d’une intempérie. Elle peut arriver chez vous en une nuit, à la vitesse des chars, ou ramper lentement comme une ombre...

Pour raconter ce pays, pour rendre toute leur dimension humaine aux Palestiniens, je rêve d’un documentaire qui éviterait les écueils du militantisme, de la prise de parole intempestive, des schémas préconçus. J’imagine une pérégrination au cœur de ces trois cités, afin de capter leurs particularités et l’indicible de leurs situations, filmé in situ, donnant la parole à tous ses hommes et ses femmes qu’on n’entend jamais et qui nous parleront de la vie, de la mort, de l’amour.

Mais comment raconter ce que l’on ne raconte jamais ? Le silence parle plus fort, en dit plus que toute démonstration. Mieux vaut se taire et écouter la rumeur des villes : les sirènes, les chansons enfantines, les ordres des soldats, les instants de recueillement que vient troubler l’explosion des bombes. Mieux vaut poser sa caméra à hauteur d’homme et capter l’étrange théâtre qui s’y joue. Oui, mieux vaut écouter et regarder, prendre le temps d’être un simple témoin, enregistrer le son et l’image là où, depuis longtemps, on n’écoute et ne regarde plus...


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