Accueil > Les Films > Voyage dans l’entre-deux (2001)

Voyage dans l’entre-deux (2001)

dimanche 18 février 2001, par La cavale

“Voyage dans l’entre-deux” moyen-métrage documentaire, 52 minutes, Béta-num, 2001
Coproduction : REAL PRODUCTIONS, FILMPOOL LUDIWSBURG/ FRANCE TELEVISIONS
Diffusion : FRANCE 3 2001, BTC (Slovaquie), 2003, Telewizja Polska 1 (Pologne), 2003, ZDF (Allemagne), 2004. PLANETE (Canada), (2005)

Ayant grandi à quelques kilomètres du Rhin, je ne suis jamais allé en Allemagne. Le Rhin a toujours marqué pour moi une frontière inconsciente infranchissable. Au cours de ce Voyage dans l’entre-deux, j’ai cherché à comprendre ce refus à travers l’histoire de ma famille et de ses relations avec la frontière qui sépare la France de l’Allemagne. Ce road-movie personnel, avec son carnet de bord subjectif, est une réflexion sur la transmission de la notion de frontière.

Festival du film de Sarrebruck, Film-und Videofestival "SaarLorLux", Allemagne, 2001 / Transeuropéennes de Strasbourg, 2001/ Prix spécial du jury, Circom 2002, Kosice, Slovaquie, 2002 / Prix du documentaire, Festival Filmer en Alsace, Strasbourg, 2002 / Best Programs Schowcase, festival de Thessaloniki, Grèce, 2002 / Festival des deux rives, Strasbourg, 2004.

Ce voyage, qui débute à Paris et s’achève à Heidelberg, s’attarde surtout le long des 183,6 km séparant la France et l’Allemagne ; de la borne fluviale 168,4 (Bâle) à la borne 352 (Lauterbourg, où le Rhin passe en territoire allemand) ; du sud au nord, du Vieux Rhin au Rhin Libre : un cheminement, donc, sur la frontière.

Étrange idée : au lieu d’emprunter les ponts transversaux, fonctionnels et très fréquentés, ce parcours buissonnier et braconnier (qui ne s’arrête pas devant les interdictions et les mises en garde) suit de petites départementales désertées pour longer le fleuve, sans trop s’en écarter, en le serrant au plus près. Tout au long de cette ligne, surgissent des no man’s land (terrains appartenant à EDF ou réserves de l’Office Nationale de la Chasse) formant une zone mystérieuse où l’on va de rencontre en rencontre, d’île en île, de monde en monde.

Cet itinéraire initiatique interroge l’histoire de ma famille et de ses relations avec une frontière particulière qui n’est pas anodine, celle qui sépare la France de l’Allemagne. Dans le même temps et le même mouvement, ce film introspectif questionne mes propres relations avec cette frontière que je n’ai franchie qu’à l’âge adulte (alors que j’ai grandi seulement à quelques kilomètres du Rhin). Comment la famille transmet-elle silencieusement son histoire de la frontière ? Qu’est-ce que je porte, inconsciemment, de cette histoire ? Est-il possible de transgresser et dépasser cette amnésie de cet "autre côté" ? Franchir cette frontière n’est-ce pas enfin me reconnaître "étranger à moi-même" ?

Tout au long de ce voyage fait de bifurcations et d’étapes, chaque homme croisé porte un regard singulier sur ce territoire qui se révèle être un véritable entre-deux. Certains sont des miroirs en éclats de mon histoire et de ses non-dits ; d’autres, des passeurs vers l’encore-inconnu.

Ce road-movie personnel, avec son carnet de bord subjectif, révèle la transformation géographique du fleuve (qui, de canalisé, coule vers un "Rhin libre"). Transformation dynamisant le mouvement de la pensée : on part d’une certaine idée pour arriver à une nouvelle idée de la frontière. Entre ces deux points (départ et arrivée), un devenir-voyage permettant de réfléchir sur la transmission de la notion de frontière.

Élevé par ma grand-mère maternelle francophone, j’ai longtemps refusé mes origines alsaciennes (jusqu’à revendiquer l’identité Welche, donc francophone, de la vallée de Lapoutroie où se sont installés mes parents en 1960)... J’avais l’étrange sentiment d’être étranger dans mon propre pays (ma région). En effet, je ne comprends pas l’alsacien (personne ne le parlait autour de moi et, à l’école, j’ai suivi des cours d’anglais et de latin).

Ayant grandi à quelques kilomètres seulement de l’Allemagne, je n’ai passé la frontière qu’à l’âge adulte. Enfant à Colmar, après les jardins des maraîchers et les forêts du Ried, un grand canal bétonné marquait la limite que l’on ne franchissait pas. Étudiant à Strasbourg, je n’ai jamais emprunté le Pont de l’Europe pour passer une journée ou une nuit en Allemagne. Le Rhin a toujours marqué pour moi une frontière inconsciente infranchissable. Au fil du temps, j’en ai oublié jusqu’au fleuve lui-même.

Et puis, il y a le non-dit familial, les souvenirs enfouis.
Il y a quelques années, après plusieurs voyages en Bosnie-Herzégovine, j’ai commencé à interroger mes parents, grands-parents, oncles et tantes, sur l’histoire familiale pendant la Seconde Guerre. Ma compagne, Bosniaque, venait de traverser une guerre : face à l’histoire immédiate, il lui avait fallu réagir, opérer des choix. Avec le recul, elle me parlait ouvertement de son exil, ses regrets, ses illusions. Mes proches, eux, faisaient le silence sur le passé. Pourquoi ? Et pourquoi, ni moi, ni aucun de mes cousins et cousines, n’avons-nous jamais voyagé en Allemagne ? D’où venait notre manque de curiosité ?

Mes premières questions à ma famille rencontrèrent d’abord un silence obstiné ou un refus violent et catégorique. Jusqu’ici, aucun n’avait voulu mettre de mots sur cette période. Si la culpabilité semblait s’être quelque peu dissipée avec le temps, rien n’était pour autant résolu : ni pour eux, ni pour moi. Face à mon insistance et mon obstination, certains me répondirent pour finir quelques bribes de paroles. C’est ainsi que j’appris que mon grand-père maternel avait été lié d’amitié, dans les années 30, avec un chef autonomiste ; que, de culture germanophone, il parlait mieux l’allemand que le français ; qu’il avait un cousin germain installé en Allemagne. Plus de 50 ans après la fin de la guerre, des secrets et des non-dits commencèrent à se dévoiler.

Aujourd’hui, un travail de mémoire me semble nécessaire pour comprendre certains de mes sentiments face à cette frontière, et plus particulièrement face à l’Allemagne. Ce voyage le long de la frontière rhénane me permet de partir sur les traces de ma mémoire. Aujourd’hui, alors que mes neveux et nièces sont dans des classes bilingues franco-allemandes, je voudrais m’interroger sur la mémoire de la frontière et confronter cette dernière à son sens actuel.

Ce voyage dans l’entre-deux sera une introspection et une initiation à l’Europe en devenir. Déchiffrer la géographie de cette frontière rhénane. Éprouver ce qui, dans cet incompréhensible espace, sépare et/ou réunit. Faire l’expérience de ce monde des frontières qui, à chacun de nous, fait un peu peur. Rencontrer ceux qui habitent ou travaillent sur ces étendues secrètes ; écouter ce qu’ils ont à dire, eux, sur le sujet. Prendre la route et, de ses propres yeux, inventorier cette diversité.


Louer le film en VOD et acheter le DVD : http://www.filmsdocumentaires.com/films/201-franco-allemande