Accueil > Presse > La culture malgré la guerre (DNA)

La culture malgré la guerre (DNA)

jeudi 24 novembre 2011, par La cavale

Le livre et la culture relèvent-ils de l’aide humanitaire au même titre que les pâtes et le riz ? C’est la question qui traverse un film dédié au Centre culturel français fondé en pleine guerre à Sarajevo (*).

LE FILM projeté aujourd’hui à Strasbourg évoque une aventure humaine sans équivalent : en 1994, sous les bombes, quelques centaines de livres sont transférés de France en Bosnie. Autour de cette bibliothèque se crée un lieu de rencontres qui sera, dans Sarajevo assiégé et désorganisé, une miraculeuse enclave de normalité. Ainsi naquit le Centre culturel André-Malraux.
Cette institution qui existe toujours est due à l’atypique Francis Bueb, esprit aussi discret que résolu. Lui qui était un des hommes clés de la FNAC à Strasbourg puis à Paris quitte tout pour s’installer dans Sarajevo en guerre. Les films, disques et livres qu’il achemine avec la complicité de militaires français ne sont pas des rebuts défraîchis. Ils sortent des presses, y compris les titres récents de la collection La Pléiade.
Tout Bueb est dans ce choix. Il ne fait pas la charité aux Sarajeviens encerclés, il redonne à la culture la place qu’elle aurait eue si les nationalistes n’avaient pas semé la mort. Au milieu des sacs de nouilles, de soupes et de chaussures, les livres venus de France sont reçus comme une marque de respect.
C’est cet étonnant va-et-vient entre la guerre et la culture que raconte le film de Robin Hunzinger. Florence Malraux, fille de l’ancien ministre du général de Gaulle, l’écrivain Jean-Marie Laclavetine, l’efficace Ziba Galijasevic, le journaliste Rémy Ourdan disent pourquoi les habitants de Sarajevo ont été touchés par la persévérance de Bueb, par son esprit de résistance, par sa façon de traiter les assiégés d’égal à égal.
Amateurs de confidences et d’épanchements, passez votre chemin ! Contrairement à d’autres intellectuels qui firent de leurs incursions à Sarajevo des vitrines où il était honorable de se pavaner, Bueb a pris avec lui quelques affaires et s’est installé sans tapage en Bosnie où il a tissé un réseau qui est aujourd’hui encore un point d’ancrage de la francophonie.
Bueb se fait un devoir de n’apparaître que peu dans le film. Dans les dernières images, il est assis derrière la pyramide de livres qui encombre invariablement son bureau. « Pourquoi es-tu à Sarajevo ? », interroge l’ancien général Divjak, héros du siège de Sarajevo. D’autres en auraient profité pour nous chanter quelques strophes glorieuses. Bueb, tête baissée, se contente de marmonner ; c’est un Modiano avec la tête de Buster Keaton. En tendant l’oreille, on croit tout de même comprendre qu’il est là par cohérence, « parce qu’il croyait devoir être là ». Pour les confidences on repassera…
Bueb a tout d’un intello, mais au fond c’est un homme d’action. Ce film le dit parfaitement, sans emphase, entre les photos de Gérard Rondeau et les séquences qui rappellent les tragiques années 1992-95, quand les habitants de Sarajevo couraient aux carrefours pour échapper aux snipers ou faisaient la chaîne pour sauver quelques livres du brasier qui dévorait la bibliothèque municipale. Les vrais résistants sont souvent des humbles.
En avant-première ce soir à 20h au cinéma Star/Saint-Exupéry à Strasbourg

par Dominique Jung, publié le 24/11/2011 dans les Dernières nouvelles d’Alsace